Elle a fait la réputation de Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse. Elle, c’est la confiture de groseilles épépinée à la plume d’oie. Rencontre avec l’héritière de la tradition, Anne Dutriez.
Blanche, rosée ou rouge. La délicate groseille est plurielle. Cette baie acide est sublimée par la maison Dutriez depuis de nombreuses années. « J’ai repris l’entreprise de mes grands-parents en 2000. Ils avaient acheté le secret de fabrication en 1974 à Georges Amiable », indique Anne Dutriez, celle qui perpétue la tradition.

L’histoire de la confiture de groseilles, ainsi que sa luxueuse réputation, remonte à encore plus loin. La plus ancienne mention connue des confitures de Bar-le-Duc date en effet de 1344. À cette époque, l’usage se répandit dans la noblesse et la bourgeoisie, après un procès gagné, de remercier les juges en leur présentant quelques verrines de confitures.
Le met devient rapidement le pêché mignon à la table des ducs et autres seigneurs. Si bien qu’au début du XVIe siècle, la réputation s’est répandue dans toute la France. Une réputation qui va perdurer encore de nombreuses années.
Victor Hugo, Winston Churchill, Alfred Hitchcock ou encore le général de Gaulle, tous sont friands du « caviar de Bar », comme le nommera le journaliste Gilles Pudlowski. La reine d’Écosse, Marie Stuart, comparera la confiture à « un rayon de soleil dans un pot. » Mais alors que se cache-t-il derrière cette fameuse confiture ?
La plume d’oie plutôt que le cure dent
Chaque année, mi-juillet il y a une trentaine d’années, mi-juin maintenant, Anne Dutriez fait le tour de ses producteurs. « Tous des particuliers », claironne la dynamique femme aux yeux foncés. « Ils ne peuvent pas avoir de label bio mais c’est de la top qualité, sans traitement. »
Vient ensuite l’étape délicate. « Mes épépineuses vont venir retirer les pépins du fruit avec une plume d’oie taillée en biseau ». Une étape qui nécessite précision et concentration. Pour épépiner 1 kg, il faut 1 h 30 pour une personne expérimentée, et près de 15 h pour un débutant.
Mais alors pourquoi la plume d’oie ? « Et bien à l’époque c’était un objet grandement utilisé, aussi pour l’écriture. C’est resté car, il faut le dire, épépiner à la plume d’oie c’est plus joli qu’au cure dent. »
L’étape suivante est gardée secrète par Anne, qui s’occupe seule de la popote. Le travail minutieux continue lors du conditionnement. « On produit 5 à 6 000 verrines par an, et elles sont toutes confectionnées à la main. »
Nature ou en accompagnement
La confiture de groseilles de Bar-le-Duc se suffit à elle même. Mais si d’après Anne, il ne faut pas trop la recuire dans une recette et que la petite cuillère est le meilleur allié pour la déguster, sa gamme s’accorde également bien avec quelques variantes.
« Pour la rouge, avec une boule de glace vanille et quelques amandes effilées c’est super. Pour la blanche ou la rosée, c’est très bon avec le foie gras. Mais le problème c’est qu’une fois que vous avez goûté avec de la groseille impossible de revenir à la figue », lance-t-elle en rigolant.
Un savoir-faire en péril
Anne s’inquiète : « Avant il y avait beaucoup de champs de groseilliers à Bar. La commune produisait 600 000 verrines par an au début du 20e siècle. Désormais je suis la seule et on a réduit la production. »
Et le premier poste touché concerne les épépineuses. « C’est un travail saisonnier et j’ai du mal à renouveler mon équipe. Début 1900 il y avait 400 épépineuses dans le secteur, aujourd’hui il n’en reste que 5. »

Anne entend bien défendre ce savoir-faire jusqu’au bout mais voilà qu’une nouvelle problématique s’ajoute depuis deux ans, pour la cheffe d’entreprise au franc-parler. « J’ai des particuliers qui me disent qu’ils n’ont pas eu de groseilles. C’est à cause du réchauffement climatique. Il fait beaucoup plus chaud. Et ça la groseille, elle n’aime pas trop ». Alors que toute sa production venait de la Meuse, Anne va devoir désormais se tourner vers la Lorraine toute entière si le problème persiste.
Mais exit le pessimisme, Anne est une fonceuse. Et des motifs d’espoir il y en a. Son produit vendu à l’étranger depuis les années 30 (États-Unis, Japon, Algérie…) est toujours aussi beau et bon. Tant pour le palais que pour la nostalgie qu’il procure. « Un américain est venu me voir car, quand il avait 7 ans, il a goûté chez lui la confiture de groseille. 63 ans plus tard, il voulait voir où elle était fabriquée. »
Encore un article enrichissant sur une facette du savoir faire à la française 😉 c’est super merci…
J’aimeJ’aime
Quel savoir faire minutieux … je ne connaissais par le métier d’épépineuse !
J’aimeJ’aime