Cidre Lemasson, bâti comme il faut

Non loin de Coutances, à Cametours, en Normandie, Damien Lemasson réalise de délicieux cidres, tout en restant à l’écoute de son environnement. Rencontre.

Pomme pomme pomme pomme. Vous l’avez ? La 5e symphonie de Beethoven. Damien Lemasson, petites lunettes rondes sur le nez et cheveux grisonnants, est un féru de « festivals, de ceux qui durent 24h non-stop. » Si nous n’avons pas poussé la discussion jusqu’à découvrir son style de musique, nous avons découvert sa symphonie à lui, celle des pommes, celle du cidre.

Ses vergers ne sont pas encore en fleurs au moment de notre rencontre, mais Damien, polaire sur le dos, nous fait le tour du propriétaire. Depuis 2004, et après son retour à la terre, il exploite à son compte 3 ha de verger haute-tige, 4,5 ha de verger basse-tige et 3 ha de prairies pour animaux (moutons, bovins,…).

« Aujourd’hui l’agriculture est très spécialisée. Nous, on est toujours restés dans la diversité. D’où les moutons et les bovins », explique ce fils de paysans. Mais alors pourquoi ? « Car il y a une symbiose entre les éléments. Rien ne va mieux à l’arbre que l’animal. Rien ne va mieux à l’animal que l’arbre. »

« On a une biomasse de 4 à 5 tonnes par hectare alors que dans un champ de céréales c’est moins d’une tonne. Il y a tout un écosystème, une biodiversité qui dépendent des deux et qu’il faut veiller à entretenir et maintenir. » Soudain un lièvre apparaît comme par magie au fond du verger. « Vous voyez », lance Damien le sourire aux lèvres.

Les bienfaits du cidre

Au-delà d’être un producteur de cidre, Damien est avant tout un ambassadeur de ce dernier. « Aujourd’hui les gens consomment de la bière. C’est devenu une boisson très mondialisée, qui est une aberration écologique. Mais bon je pense que le cidre va revenir car il a tellement de vertus. » Il développe.

« D’abord c’est un arbre. Qui dit arbre dit absorption de carbone. C’est d’ailleurs la seule boisson produite par un arbre (avec le poiré). Au niveau de la transformation, on est sur un pur jus, on ne consomme pas d’eau. Concernant la fermentation, elle se fait à froid, donc on ne consomme pas d’énergie. C’est une production qui est en général locale. Le cidre est donc de très loin la boisson la plus écologique. »

Certains diront de Damien qu’il est chauvin, on le penserait plutôt pragmatique. Celui qui est en bio traite le moins possible ses terres et possède trois produits sous AOC-AOP : le pommeau de Normandie, le calvados et le cidre Cotentin. On vous parlera des deux premiers plus tard, restons quelques instants sur le cidre.

Dans la cave de Damien Lemasson, 18 références cohabitent. Inès Soto.

Un fruit mature

« Comme vous le voyez, nous avons une partie de haute-tige et une de basse-tige*. Et en dessous, de l’herbe. » Cette dernière est importante quand vient la période de la récolte (de fin septembre à novembre). « La surface enherbée amortit la chute et protège le fruit. Cela fait une petite chambre froide sur le sol. »

Car les différentes variétés qui composent le verger de Damien se récoltent à maturité, ou plutôt se ramassent. « La pomme se ramasse au sol et non pas sur l’arbre. On va chercher l’optimum en sucre. C’est au moment où l’arbre va se séparer du fruit. Sur un même arbre la période de maturité va s’étaler sur quasiment deux mois. On va donc venir toutes les deux semaines récolter. »

Chez Lemasson, du temps, de la maîtrise

La pomme une fois récoltée, n’est qu’au début du chemin :
– elle va ensuite être triée, lavée puis rapée.
– transformée en purée, elle va maturer durant trois heures. « C’est ce qu’on appelle le cuvage. Une étape absolument essentielle qui va permettre de garder la richesse aromatique de la pomme. »
– la purée de pomme va ensuite passer au pressoir « traditionnel comme dans le vin. » L’ensemble de ces étapes prend entre six et huit heures.

– après quatre à quinze jours de clarification, le jus obtenu va commencer sa fermentation.
« dans le vin ils mettent toutes les fermentations jusqu’au bout. Nous on doit les ralentir. C’est les levures qui vont transformer les sucres en alcool. On filtre régulièrement, on fait des sous-tirages… Quand on arrive au mois de janvier on a maîtrisé tous les cidres. On arrive à un équilibre des saveurs d’année en année. »

– la prise de mousse se fait elle, naturellement en bouteille. « Les levures vont continuer à transformer les sucres en alcool. Mais toute fermentation dégage du CO2. C’est une phase assez complexe car il faut trouver l’équilibre entre la teneur en sucre, le nombre de levure et l’azote. » Il faut compter entre deux et quatre mois pour que la prise de mousse se fasse. « On ne commercialise pas de cidre avant le mois de juin pour un début de travail en octobre. »

Chaque année Damien cultive 150 tonnes de pomme. 40% servent pour le calvados, 20% pour le jus de pomme et 20% pour le cidre qu’il décline en plusieurs variétés. « C’est le brut qui a le plus de succès. On fait des cidres plutôt gastronomiques mais aussi du cidre à la pression. » En temps normal, vous pouvez donc retrouver le cidre Lemasson dans des festivals normands mais aussi parisiens.

Et à table ça donne quoi ? « L’extra brut va très bien sur des huîtres ou des bulots. Le brut sur des plats crémeux, assez gras et même avec des abats, comme l’andouillette. Le cidre douceur va aller avec des desserts. » Parmi la gamme riche de 18 références (en comptant aussi les apéritifs et les digestifs), Lemasson a de quoi combler tout le monde.

L’alcool noble et l’apéritif préféré

La diversification de Damien ne s’arrête donc pas au « soft ». Le petit garçon de 8-10 ans qui coupait son cidre à l’eau a bien grandi. Aujourd’hui son apéritif préféré, « c’est le pommeau. Un vin de mutage à classer avec les porto, les ratafia. C’est un jus de pomme spécifique, très tannique mélangé avec du calvados de plus de deux ans d’âge. » Ce mélange vieillira deux ans en fut de chêne. 

Le calvados, lui, fait partie des « trois alcools nobles avec l’armagnac et le cognac. » Après deux ans minimum de vieillissement en fut de chêne, il reste une exception. « On est les seuls assez fous pour faire des alcools de pur jus de fruit. » Damien, lui, a été assez fou pour créer le P’tit Zef. Un mélange de calvados, avec du jus d’orange. « C’est le seul truc que j’ai lancé qui marche vraiment », finit-il par conclure en rigolant.

*En 1950 il y avait 100 000 ha de vergers haute-tige dans le département de la Manche (moitié de la surface agricole du département). Aujourd’hui il n’en reste plus que 2 000. « 98% du verger a été détruit et quand je parle de 2 000 ha je parle surtout de production basse tige. Aujourd’hui on est obligés, économiquement, d’avoir du basse-tige car il arrive en production plus rapidement que le haute-tige. »

@jvaurillon

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