À Espelette, le piment tient la corde !

Depuis une vingtaine d’années, le piment d’Espelette est devenu un emblème du pays Basque. Et à raison, car ce produit n’est pas que beau, il est aussi plein de vertus.

Mi-juin au pays Basque. Le temps est moite, comme souvent. Les cordes de piments ornent les murs extérieurs des maisons, comme toujours. Vincent Darritchon nous accueille dans sa maison. Sous les serres de son jardin, les plants de piments commencent à fleurir. Cela fait maintenant 25 ans qu’il a créé la Maison du piment, domiciliée à Ustaritz, non loin du village d’Espelette. « J’avais dit à mes parents que jamais je ne ferai leur métier (ils étaient agriculteurs). » C’est manqué !

En 1994, celui qui compte deux frères, eux aussi cultivateurs de piments, a vent du lancement d’une AOC (appellation d’origine contrôlée) pour le produit. L’idée le séduit car il trouve beau ce fruit. « C’est quelque chose qui historiquement était cultivé par les femmes. Et c’est une femme, Maritxu Garacotche, qui a été à l’initiative des démarches pour l’AOC », explique Vincent. Autour de cette dernière, une trentaine de producteurs vont lutter durant plusieurs années jusqu’au graal, obtenu en 2000. L’AOP (version européenne de l’AOC) arrivera 12 ans plus tard.

En provenance du Mexique

Ce sont les premiers grands explorateurs qui ont permis de diffuser en quelques années la culture du piment dans le monde. Christophe Colomb, en découvrant l’Amérique du Sud, emmène avec lui des denrées. Et à l’époque, le piment, moins cher que le poivre, va obtenir les faveurs des femmes du pays Basque. Dès 1650, on retrouve les premières traces du fruit autour d’Espelette. Ce dernier va bien s’acclimater, en raison du climat humide et chaud qui règne dans la vallée de la Nive.

De la fierté de ces producteurs engagés, sont nés une exigence et un gage de qualité. « L’AOP ça pousse l’Homme à savoir ce qu’il fait », lance Vincent, tout heureux de faire partie de cette famille qui s’est considérablement agrandie. « Il y a 20 ans on était une trentaine, aujourd’hui on est plus de 200 producteurs. »

Une plante délicate mais pas fragile

L’enthousiasme est toujours présent chez Vincent, 25 ans après ses débuts. Et il en faut ! Car la culture du piment requière minutie et passion. « On fait nos semis au mois de mars. Il faut une température de 25 degrés et 10 jours pour que la graine germe. Ensuite, chaque petite plantule va être repiquée* à la main, plant par plant puis élevée sous serre. On les plante à partir du 15 mai. En juin, il commence à y avoir les premières fleurs. Il leur faut deux mois pour donner un piment. Le 15 août, les récoltes démarrent et vont s’échelonner jusqu’aux premières gelées », détaille Vincent qui cultive en bio mais sans label.

Le piment d’Espelette a l’avantage d’être une plante délicate mais pas fragile. « L’épiderme du piment c’est un peu comme une peau cirée, hermétique », glisse le producteur, aussi attentif sur la partie plantation que sur la partie transformation et conditionnement.

Immédiatement après la cueillette, la récolte de piment est nettoyée et triée. La totalité ou une partie est destinée à la transformation en poudre. Les piments sont répartis sur des clayettes grillagées ou enfilés sur de longues cordes pour une période de maturation (15 jours minimum mais cela va dépendre aussi de la météo et de la période de l’année).

Les piments se déshydratent lentement permettant un développement harmonieux des arômes évoquant la tomate, le poivron, et bien d’autres parfums nuancés. « Si on ne respecte pas la période de maturation, le piquant sera trop fort et la couleur moins belle. Le procédé permet l’équilibre. Le goût se révèle, le piquant diminue, une alchimie se fait. »

Un AOP, trois formes…

« Dans l’AOP on peut produire du piment sous trois formes, c’est d’ailleurs le seul en France à avoir ce privilège », explique Vincent.
Frais : le fruit est non transformé, il ne présente aucune coloration verte, sa forme est régulière et conique, son épiderme est lisse, sa longueur est comprise entre 7 et 14 cm hors pédoncule. Il est destiné aux professionnels (producteurs, transformateurs) pour la transformation en poudre et les produits dérivés.
En corde : elle comprend un minimum de 20 piments jusqu’à un maximum de 100 piments de couleur rouge, de taille homogène, compris entre 7 et 14 cm hors pédoncule. Cordage manuel sur l’exploitation, les piments entiers frais sont enfilés par le pédoncule sur une ficelle à usage alimentaire.
En poudre : d’une couleur orangée à rouge brun, sa mouture doit être suffisamment fine pour que les particules n’excèdent pas 5 mm. L’adjonction de tout colorant, additif ou conservateur est interdit. La poudre de piment d’Espelette est exclusivement obtenue à partir de piments issus d’une même exploitation.

Rééduquer au piment

« Tout le monde s’est déjà fait avoir avec un piment trop fort. Il faut faire toute une éducation au piment », indique Vincent. Et le piment d’Espelette, avec sa note de 4 sur 10 sur l’échelle de Scoville (échelle de mesure de la force des piments inventée en 1912), est une porte d’entrée savoureuse dans cet univers du piquant. Surtout que les possibilités d’utilisations sont quasiment infinies.

C’est pourquoi Vincent s’est associé au chef cuisinier Éric Deconfin pour écrire un livre de recettes autour du piment d’Espelette. « Il avait gagné un concours à Espelette avec une soupe de pêche au piment et une mousse au chocolat. Il faut savoir que le piment dans le chocolat, ça remonte aux incas ! »

Le piment sous forme de poudre. Julien Vaurillon.

Et dans le beurre, ça remonte à quelques années. Une rencontre impromptue sur un salon parisien entérine l’association entre Jean-Yves Bordier dont on vous parlait ici, et Vincent Darritchon. Pour le plus grand plaisir des papilles de celui qui produit entre trois et quatre tonnes de piments par an, sur son exploitation de trois hectares.

Ce dernier s’en sert même en crème pour soigner ses maux de gorge. Comme quoi le piment d’Espelette a toutes les qualités pour trouver sa place dans votre cuisine, et pas que…

*Repiquage : lorsque les deux premières feuilles se mettent à plat, on voit apparaître au centre une troisième feuille, appelée première vraie feuille. À ce stade de développement, chaque plant sera repiqué dans des alvéoles préalablement remplies de terreau. Il aura ainsi l’espace nécessaire à sa croissance. Pendant deux mois, les jeunes plants resteront à l’abri sous serre.

Crédits photos : Pixabay et Inès Soto.

@jvaurillon

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